Daniel Cordier
Quick Facts
Biography
Daniel Bouyjou-Cordier, né à Bordeaux le 10 août 1920, est un ancien Camelot du roi, engagé dans la France libre dès juin 1940. Il a été, après la guerre, marchand d'art, critique, collectionneur et organisateur d'expositions, avant de se consacrer à des travaux d'historien.
Secrétaire de Jean Moulin en 1942-1943, au contact de qui ses opinions ont évolué vers la gauche, il lui a consacré une biographie en plusieurs volumes de grande portée historique.
Biographie
Un jeune membre de l'Action française
Issu d'une famille de négociants bordelais, royalistes maurassiens, Daniel Cordier fait ses études dans différents collèges catholiques. Il porte le nom de son beau - père Charles Cordier, second mari de sa mère , fils d'Auguste Cordier professeur de philosophie . Il milite à 17 ans à l'Action française et fonde à Bordeaux le Cercle Charles-Maurras. En effet, comme il le reconnaît dans Alias Caracalla, en tant qu'admirateur de Maurras, il est, au début de la guerre, fascisant, antisémite, antisocialiste, anticommuniste, antidémocrate et ultranationaliste, souhaitant même, après son ralliement à la France libre, que Léon Blum soit fusillé après un jugement sommaire à la fin de la guerre. Il écrit dans son autobiographie qu'il ne serait jamais entré dans la Résistance sans les articles du théoricien du « nationalisme intégral ». Mais, contrairement à son maître à penser, il refuse d'emblée l'armistice par patriotisme.
Le traumatisme de la défaite de juin 1940
En juin 1940, il se trouve avec sa famille à Bescat , attendant avec impatience son incorporation prévue le 10 juillet. Le 17 juin, il écoute à la radio le premier discours de chef du gouvernement du maréchal Pétain, s'attendant de la part du vainqueur de Verdun à une volonté de poursuivre la guerre ; il est donc totalement révolté par l'annonce de la demande d'armistice. Après avoir rassemblé seize volontaires et espérant que l'Empire français continuera la guerre, il embarque le 21 juin à Bayonne sur un navire belge, le cargo Léopold II, qui devait aller en Algérie.
Le bateau fait finalement route vers Londres.
La Résistance
Daniel Cordier atteint Falmouth (Cornouailles) le 25 juin et s'engage avec ses camarades dans les premières Forces françaises libres de la « Légion de Gaulle » le 28 juin 1940. En transit pendant quelques jours à l'hôtel Olympia, il est affecté au bataillon de chasseurs alors en formation et arrive début juillet à Delville Camp, pour y suivre un entraînement jusqu'à la fin du mois de juillet. Le bataillon est ensuite installé à Camberley, puis au camp d'Old Dean, où Daniel Cordier complète sa formation militaire.
Entré au BCRA, il est parachuté près de Montluçon le 26 juillet 1942. Il gagne rapidement Lyon et entre au service de Jean Moulin, membre (nommé secrètement par de Gaulle) du Comité national français, officieusement seul représentant de ce comité en métropole. Il prend alors le surnom d'Alain en référence au philosophe. Il fonde et dirige le secrétariat de Jean Moulin et pendant onze mois, il est au quotidien l'un de ses plus proches collaborateurs. Il gère son courrier et ses liaisons radio avec Londres. Il l'aide à créer divers organes et services de la Résistance, et assiste aux patients efforts de celui-ci pour unifier la Résistance intérieure française et la placer sous l'égide de Londres.
À Lyon, Cordier recrute, chronologiquement, Laure Diebold (secrétariat), Hugues Limonti (courrier), Suzanne Olivier, Joseph Van Dievort, Georges Archimbaud, Laurent Girard, Louis Rapp et Hélène Vernay.
À Paris, Cordier emmène la majorité de son équipe, à laquelle se joignent Jean-Louis Théobald, Claire Chevrillon et Jacqueline Pery d'Alincourt.
À Lyon, Cordier est remplacé par Tony de Graaff, avec Hélène Vernay (secrétariat) et Laurent Girard (courrier).
Ce long travail aboutit à la fondation du Conseil national de la Résistance (). Il a fallu pour cela passer par bien des frictions et des divergences avec beaucoup de chefs de la Résistance, ainsi qu'avec Pierre Brossolette, autre envoyé de De Gaulle et concurrent de Jean Moulin. Brossolette réclamera, entre autres, le rappel de Cordier à Londres après l'arrestation et la mort de Jean Moulin.
Resté jusqu'au 21 mars 1944 au service du successeur de Moulin à la délégation générale, Claude Bouchinet-Serreulles, Cordier passe les Pyrénées en mars 1944, est interné par Franco au camp de Miranda, puis rejoint la Grande-Bretagne.
Dans son livre Présumé Jean Moulin, l'historien Jacques Baynac évoque l'éventuelle arrestation de Daniel Cordier par les Allemands autour du 14 juin 1943, une semaine avant la capture de Jean Moulin. Des rapports officiels du SOE britannique rapportent cet évènement. Daniel Cordier déclare pour sa part : « je n'ai jamais été arrêté, sinon je l'aurais raconté ».
Après-guerre
À l'occasion du procès de René Hardy en 1947, il dépose dans le sens de sa culpabilité dans l'affaire de Caluire. Il conclura à nouveau à cette culpabilité des décennies plus tard « en [son] âme et conscience », cette fois après de longues recherches historiques.
Des convictions socialistes
Après la guerre, Cordier choisit de tourner la page et d'oublier radicalement cette période de sa vie, il ne parle plus de la Résistance en public pendant plus de trente ans.
Il ne se consacre plus au militantisme politique et a renoncé à ses opinions d'extrême droite au contact du radical-socialiste Jean Moulin. Il adhère désormais à un socialisme humaniste et non marxiste, aidant discrètement à la fondation du Club Jean Moulin au début des années 1960.
Daniel Cordier a été le tuteur légal d'Hervé Vilard.
Peintre et marchand d'art
« Jean Moulin fut mon initiateur à l'art moderne. Avant de le rencontrer, en 1942, j'étais ignorant de cet appendice vivant de l'histoire de l'art. Il m'en révéla la vitalité, l'originalité et le plaisir. Surtout il m'en communiqua le goût et la curiosité », écrit Daniel Cordier, en 1989, dans la préface du catalogue présentant sa donation au Centre Pompidou. Sitôt les hostilités finies, il commence une carrière de peintre, s'inscrit à l'académie de la Grande Chaumière en 1946, en même temps qu'il achète sa première œuvre, une toile de Jean Dewasne, au Salon des Réalités nouvelles.
Pendant dix ans, Cordier peint et collectionne : Braque, Soutine, Rouault, De Staël (« dont la rencontre d'une toile […] fut [sa] révélation de l'art moderne »), Hartung, Villon, Reichel, Réquichot, Dado. « Il ne cessera de compléter sa collection personnelle qui comprendra, outre les peintres de sa galerie, Arman, Tàpies, Mathieu, Hundertwasser, Kline, Tobey, Wols, César, Tinguely, Stankiewicz, Hantaï, Reutersward, Sonnenstern, Ossorio, Takis, Chaissac… »
C'est ainsi qu'en novembre 1956 Daniel Cordier, en ouvrant sa première galerie, se lance dans ce qui allait être une brillante carrière de marchand d'art. Après une première exposition consacrée à Claude Viseux, il expose, conjointement Dewasne, Dubuffet et Matta. Pendant huit ans, nombre d'artistes, pour beaucoup découverts, lancés et soutenus par Cordier, se succéderont dans la galerie, avant que celui-ci, pour des raisons économiques et financières, mais aussi du fait du manque d'intérêt qu'il ressent, en France, pour l'art contemporain, ne mette la clé sous la porte en juin 1964 pour se tourner vers l'organisation de grandes expositions.
- Art premier
- Jim Amaral
- Dieter Appelt
- Arman
- Bernard Bazile
- Hans Bellmer
- Pierre Bettencourt
- Julius Bissier
- Brassaï
- Aristide Caillaud
- César
- Gaston Chaissac
- Philippe Comar
- Robert Combas
- Dado
- Thierry De Cordier
- Fred Deux
- Jean Dewasne
- Jean Dubuffet
- Marcel Duchamp
- Erró
- Öyvind Fahlström
- Claire Falkenstein
- Yolande Fièvre
- Eugène Gabritschevsky
- Dominique Gauthier
- Georgik
- Simon Hantaï
- Hans Hartung
- Hessie
- Horst Egon Kalinowski
- Karen
- Joël Kermarrec
- Michel Lablais
- Jean Le Gac
- Augustin Lesage
- Robert Mapplethorpe
- Matta
- Jean-Michel Meurice
- Henri Michaux
- Roland Michenet
- Manolo Millares
- Robert Morris
- Michel Nedjar
- Louise Nevelson
- Christian d'Orgeix
- Alfonso Ossorio
- Robert Rauschenberg
- Jean-Pierre Raynaud
- Bernard Réquichot
- Yves Reynier
- François Rouan
- Friedrich Schröder Sonnenstern
- Bernard Schultze
- Charles Simonds
- Souki Sivalax
- Richard Stankiewicz
- Takis
- Jean Tinguely
- Gérard Titus-Carmel
- Ursula
- Nicolas Valabrègue
- Bernar Venet
- Claude Viallat
- Claude Viseux
- Joel-Peter Witkin
- Christian Zeimert
Une œuvre d'historien
Biographe de Jean Moulin
À la fin des années 1970, choqué par ce qu'il considère comme des calomnies contre Jean Moulin (en particulier les accusations d'Henri Frenay, qui en fait un agent crypto-communiste), Cordier entreprend des recherches historiques pour défendre la mémoire de son ancien patron.
En possession des archives de Jean Moulin, Daniel Cordier a pu livrer, après des années d'un travail acharné, une somme biographique monumentale qui a profondément renouvelé l'historiographie de la Résistance et qui entend faire définitivement litière des diverses légendes cherchant à salir la mémoire du premier président du CNR.
Les anciens résistants à l'épreuve de la mémoire
L'originalité de Daniel Cordier, en tant qu'historien-témoin, est de refuser radicalement le témoignage oral et de ne faire qu'un usage très restreint de ses propres souvenirs. Il insiste sur l'imprécision et les déformations de la mémoire humaine, qui rendent impossible l'établissement d'une chronologie précise, pourtant indispensable pour éviter les confusions et les anachronismes qui brouillent la reconstitution des processus de décision.
D'ailleurs, beaucoup de résistants ont rayé de leurs mémoires certains épisodes importants, fussent-ils parfois à leur honneur — ainsi Daniel Cordier, lors d'un colloque en 1983 sur le CNR, dut mettre sous les yeux incrédules de Christian Pineau le document écrit qui prouvait que ce dernier avait songé le premier (fin 1942) à un projet de Conseil de la Résistance ; Pineau, sans souvenir de l'épisode, refusa malgré tout de le croire.
Enfin, après la guerre, bien des chefs de la Résistance ont privilégié une vision unanimiste de l'épopée clandestine, et préféré taire les querelles, les rivalités, les divergences politiques et stratégiques qui les avaient opposés entre eux ou à Londres, et que pourtant révèlent des documents. Ou bien, inversement, ils ont projeté sur le passé leurs perceptions et leurs convictions acquises rétrospectivement.
Un travail reconnu
Le travail de Daniel Cordier a été souvent boudé ou critiqué par ses anciens camarades, qui lui ont reproché d'avoir nui à l'unité des anciens résistants. D'autres encore pointèrent que, sous des dehors d'objectivité scientifique, il visait à défendre et justifier l'œuvre et les thèses de Jean Moulin, ainsi que la mise sous tutelle de fait de la Résistance intérieure française par la France libre à l'occasion de l'unification, tout cela aux dépens de ceux qui avaient pu entrer en désaccord avec Moulin, et soutenaient des projets concurrents. Pour Thierry Wolton, les livres de Cordier sont un règlement de comptes avec Henri Frenay et une hagiographie de Jean Moulin plutôt qu'une biographie.
Quoi qu'il en soit, l'œuvre de Cordier est très largement saluée par les historiens, pour ses informations, son perfectionnisme et ses qualités d'écriture et d'analyse. Au-delà de la défense d'une figure héroïque et emblématique de la Résistance et de l'histoire de France, elle est un jalon incontournable pour l'historicisation du combat de l'« armée des ombres ».
Autobiographie
Daniel Cordier a publié son autobiographie sous le titre Alias Caracalla : mémoires, 1940-1943 en 2009.
Il a révélé son homosexualité en 2009 et a annoncé que ce serait un thème du tome II de ses mémoires.
Les Feux de Saint-Elme, paru en 2014, est le récit de son éveil sentimental et sexuel dans un collège religieux de garçons. Il subit les influences contradictoires de Gide et des enseignements de l'Église catholique en la personne de son confesseur, qui le persuade de renoncer à son amour pour un garçon du nom de David Cohen. Cet épisode devait marquer sa vie entière.
Il fut un ami de Roland Barthes[réf. nécessaire].
Décorations
Daniel Cordier est :
- grand officier dans l’ordre national de la Légion d'honneur, le 13 juillet 2012 ;
- Compagnon de la Libération, le 20 novembre 1944 ;
- titulaire de la croix de guerre 1939-1945.
Archives
Les archives personnelles de Daniel Cordier sont conservées aux Archives nationales sous la cote 674AP.
Publications
- 1983 : Jean Moulin et le Conseil national de la Résistance, Paris, éd. CNRS.
- 1983: « De Gaulle et Jean Moulin : une politique pour la Résistance », in: Espoir no 44, Texte intégral en ligne.
- 1989-1993 : Jean Moulin. L’Inconnu du Panthéon, 3 vol. , Paris, éd. Jean-Claude Lattès. De la naissance de Jean Moulin à 1941.
- 1999 : Jean Moulin. La République des catacombes, Paris, éd. Gallimard. Récapitulation du précédent ; action de Jean Moulin de 1941 à sa mort ; postérité de son action et de sa mémoire.
- 2009 : Alias Caracalla : mémoires, 1940-1943, Paris, éd. Gallimard, Prix littéraire de la Résistance 2009, et prix Renaudot de l'essai 2009 (ISBN 978-2-07-074311-7).
- 2013 : De l’Histoire à l’histoire, avec la collaboration de Paulin Ismard, Paris, éd. Gallimard.
- 2014 : Les Feux de Saint-Elme, récit, 194 p., Paris, éd. Gallimard (ISBN 978-2-07-078634-3).
Pour approfondir
Bibliographie
Sur Daniel Cordier galeriste
- 2005 : Viviane Tarenne (dir.), Daniel Cordier : le regard d'un amateur (donations Daniel Cordier dans les collections du musée national d'Art moderne), éd. Centre Pompidou, Paris, 397 p. (ISBN 2-84426-263-5) ; nouvelle édition du catalogue publié à l'occasion de l'exposition « Donations Daniel Cordier. Le regard d'un amateur » qui se tint au Centre Pompidou du 14 novembre 1989 au 21 janvier 1990.
Sur la Résistance
- Roger Vailland, Drôle de jeu, Prix Interallié, Paris, éd. Corrêa, 1945. Dans un avertissement au lecteur, Roger Vailland explique que : « Drôle de jeu n'est pas un roman sur la Résistance », mais « une fiction, une création de l'imagination »
- Laurent Douzou, La Résistance, une histoire périlleuse, Paris, éd. Seuil, coll. « Points », Prix littéraire de la Résistance 2005.
- Jacques Baynac, Présumé Jean Moulin (1940-1943) : esquisse de la Résistance, Paris, éd. Grasset, 2007.
Sur la polémique Cordier-Frenay
- Charles Benfredj, L'Affaire Jean Moulin : la contre-enquête, Paris, éd. Albin Michel, 1990, 256 p.
Articles
- Pierre Assouline, « Portrait : Daniel Cordier et l'énigme Jean Moulin », L'Histoire, no 127, novembre 1989, p. 64-67.
- Jean-Louis Jeannelle, « Vies mémorables » et expression de l’intime : l'« irrégularité » dans les Mémoires de Daniel Cordier », Revue d’histoire littéraire de la France, no 4, octobre 2011, p. 953-972.
- Jean-Louis Jeannelle, « Patience du mémorialiste : Daniel Cordier et le « temps des Mémoires », Critique, no 754, mars 2010, p. 230-242.
- Thomas Wieder, « Daniel Cordier au plus vrai », Le Monde des Livres, cahier du Monde no 20030, 19 juin 2009, p. 1 et 6.
Filmographie
- Alain Fleischer, Daniel Cordier - Le regard d'un amateur, 35 mm, 52 min. Coproduction Centre Georges Pompidou/ Centre national des arts plastiques/ La Sept, 1990.
- Bernard George et Régis Debray, Daniel Cordier, la Résistance comme un roman, France 5, 2010.
- Snežana Nikčević et Sanja Blečić, Dado : ukrštanja / métissages, RTCG, 2011. Documentaire sur le peintre Dado dans lequel Daniel Cordier intervient à plusieurs reprises.
- Musée des beaux-arts de Lyon, conférence filmée le 4 juin 2009 : « Daniel Cordier, amateur d'art, collectionneur, galeriste et donateur ».
- Alain Tasma, Alias Caracalla, film TV d'après le livre du même nom de Daniel Cordier, 2013, joué par Jules Sadoughi.
Articles connexes
- France libre
- Un paradoxe français
Liens externes
- Notices d'autorité : Fichier d'autorité international virtuel • International Standard Name Identifier • Union List of Artist Names • Bibliothèque nationale de France (données) • Système universitaire de documentation • Bibliothèque du Congrès • Gemeinsame Normdatei • WorldCat
- Daniel Cordier dans le site de l'ordre de la Libération
- Articles consacrés à Daniel Cordier dans le journal Le Monde
- Les vies de Daniel Cordier, À voix nue, France Culture, 27-31 mai 2013
- Daniel Cordier : Le Lyon de la Résistance 1942-1943, La marche de l'histoire par Jean Lebrun, mardi 20 novembre 2012
Notes et références
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