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Daniel Lefeuvre
French historian

Daniel Lefeuvre

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Daniel Lefeuvre
The details (from wikipedia)

Biography

Daniel Lefeuvre, né le à Paris et mort le à Paris, est un historien français, spécialiste du monde colonial, et en particulier de l'Algérie coloniale, qu'il a principalement étudiée sous l'angle de l'histoire économique.

Biographie

Jeunesse et formation

Daniel Lefeuvre est issu d’un milieu socialement modeste. Son père était fossoyeur au cimetière de Pantin et sa mère, ouvrière. Il a grandi et suivi sa scolarité dans la ville de Bondy. Sa jeunesse a été marquée par ses engagements politiques militants au sein des Jeunesses communistes puis de l'Union des étudiants communistes et de l'UNEF. Il fut élu étudiant au Cneser.

  • Son cursus universitaire fut entrecoupé d'activités professionnelles liées à la vente du livre, de manière itinérante ou à partir d'une librairie qu'il avait fondée à Argenteuil. Il a donc acquis, avant d'étudier l'histoire économique, des notions pratiques de commerce, de comptabilité et d'économie.

Renouant avec l'université, il fut étudiant de Jacques Marseille à l'université Paris-VIII. La lecture du livre de ce dernier, Empire colonial et capitalisme français (1984) l’avait convaincu du simplisme de ses convictions de jeunesse en matière d’histoire coloniale.

Daniel Lefeuvre rédige d'abord un mémoire de maîtrise sur le Plan de Constantine sous la direction de Jean Bouvier, spécialiste d'histoire économique. Puis il s'engage, sous la direction de Jacques Marseille dans une thèse intitulée L'industrialisation de l'Algérie (1930-1962), échec d'une politique, soutenue en 1994. Elle est publiée en 1997 dans une version remaniée sous le titre Chère Algérie : comptes et mécomptes de la tutelle coloniale, 1930-1962.

  • Pour sa thèse et son habilitation, Daniel Lefeuvre a fréquenté de très nombreux centres d'archives, en France mais aussi en Algérie. Il a continué après.
  • Il s'est toujours montré attentif aux nouveaux fonds ouverts aux chercheurs, comme en témoigne, à titre d'anecdote révélatrice, l'archiviste Thierry Sarmant : «En 1992, trente ans après la fin du conflit algérien, le traitement du fonds fut considéré comme achevé et son ouverture annoncée à grand son de trompe. Un premier inventaire dactylographié fut mis à la disposition des chercheurs et une salle de lecture particulière fut ouverte dans la Tour de Paris du château de Vincennes. Le premier lecteur reçu fut un universitaire, M. Daniel Lefeuvre».

Parcours

Carrière

Après plusieurs années passées dans l'enseignement secondaire (L.E.P., collèges) puis comme ATER, Daniel Lefeuvre accède à l'enseignement supérieur une fois sa thèse de doctorat obtenue.

En 1994, il est nommé maître de conférences à l'université Paris-VIII. Le 18 décembre 2001, sans la salle Duroselle de la Sorbonne, il soutient son HDR (habilitation à diriger des recherches) devant un jury composé de Jacques Marseille, Daniel Rivet, Jacques Frémeaux, Marc Michel, Benjamin Stora et Michel Margairaz.

En septembre 2002, il devient professeur des universités et anime des séminaires sur l'histoire coloniale, certains avec Jacques Frémeaux, de l'université Paris-IV. Il est un temps (2004-2007) directeur du Département d'Histoire de l'université Saint-Denis Paris VIII.

Daniel Lefeuvre était chercheur associé et membre du conseil de laboratoire de l´UMR 604 «Institutions et dynamiques historiques de l'économie» (CNRS) ; membre du conseil de laboratoire du GDR-CNRS «Entreprises sous l'Occupation» ; co-responsable (avec Jacques Frémeaux, professeur d´histoire contemporaine, Université Paris IV) d´un groupe de recherche sur «Les rapatriés de l'empire français, 1945-1965».

Activités

De 1995 à 2000, il est secrétaire général de la Société française d'histoire de l'outre-mer, qu'il réorganise. La Revue française d’histoire d’outre-mer qui avait pris la suite de la Revue d’Histoire des Colonies, en 1959, devient Outre-mers, revue d'histoire en 1999.

  • Les 23, 24 et 25 novembre 2000, se tient, à la Sorbonne, le colloque international organisé par Daniel Lefeuvre (avec la collaboration d'Anne-Marie Pathé, ingénieur IHTP), en l'honneur de Charles-Robert Ageron (1923-2008), maître incontesté des études historiques sur l'Algérie coloniale et la décolonisation. Daniel Lefeuvre réussit à faire publier les actes du colloque pour l'ouverture de celui-ci : La guerre d'Algérie, au miroir des décolonisations française (SFHOM).

L'année scolaire 2000-2001, Daniel Lefeuvre, alors maître de conférences, et Michel Renard, organisent à l'université Paris-VIII un séminaire intitulé «Histoire et présence de l'islam en France», avec la participation de nombreux historiens et islamologues.

Toujours soucieux de l'impact du savoir universitaire sur les professeurs de l'enseignement secondaire, il organise, le 27 mars 2002, une journée d'étude intitulée Enseigner la guerre d'Algérie avec, notamment : Gilbert Meynier, Mohammed Harbi, Jacques Frémeaux, Michel Margairaz, Danielle Tartakowsky, Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault.

  • En 2006, il fonde avec Michel Renard et Marc Michel l'association Études Coloniales qui a notamment constitué un annuaire des chercheurs spécialistes de cette question. Cette association est également à l'origine de la reconstruction de la kouba de Nogent-sur-Marne (2011).

En 2007, il est nommé membre du conseil d'administration de l'Association Une cité pour les archives fondée en 2001 pour soutenir le projet de création à Saint-Denis-Peyrefitte d'un centre des archives nationales.

Daniel Lefeuvre était membre du Conseil historique et scientifique de la Caisse des dépôts et consignations.

Le 1 juin 2012, Daniel Lefeuvre est élu à l'Académie des sciences d'outre-mer, membre titulaire de la 2 section (Sciences politiques et administratives).

En 2013, Daniel Lefeuvre est élu président du conseil scientifique de la Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie.

Le livre Chère Algérie

Résumé : une crise non résolue

La recherche menée dans sa thèse par Daniel Lefeuvre, et exposée au grand public en 1997 dans l'ouvrage Chère Algérie, 1930-1962, vise à analyser comment, à partir d'une crise qui éclate du début de la décennie 1930 et qui révèle les faiblesses structurelles de l'économie de la colonie, une politique volontariste d'industrialisation a été menée par l'État des années 1930 jusqu'à la fin des années 1950 (Plan de Constantine) en passant par les initiatives prises par le régime de Vichy. Si l'industrialisation est une affaire d'État, elle implique nécessairement la contribution de l'industrie privée. Dans quelle mesure le patronat et les entreprises se sont-ils engagés dans cette mutation voulue par l'État ?

  • « Deux considérations majeures ont précipité [cette politique] : la création d'industries locales apparaît indispensable à la solution de problème démographique algérien ; des impératifs stratégiques [notamment militaires] imposent également que soit amorcé l'équipement industriel de l'Afrique du Nord. Ce sont donc des mobiles régaliens qui justifient l'industrialisation de l'Algérie qui est, au sens fort du terme, une question politique ».

Au terme de la période de trente années qui a conduit de la célébration triomphante du Centenaire de la conquête (1930) à l'indépendance de l'Algérie (1962), la politique d'industrialisation se révèle un échec : «En 1962, c'est un pays plus que jamais en crise qui accède à l'indépendance».

  • «C'est parce que [l'État] juge que la puissance de la France dépend en grande partie du maintien de sa souveraineté sur l'Algérie, qu'il consent à l'égard de celle-ci des sacrifices financiers considérables. D'ailleurs, la métropole se montre d'autant plus généreuse à l'égard de sa pupille, que son autorité y est contestée ou sa souveraineté menacée. La lucidité des comptables du Trésor, qui chiffrent au début des années 1950, le coût de cette puissance, ne paraît pas avoir joué un rôle déterminant dans l'évolution des politiques de l'État à l'égard de l'Algérie. Eux-mêmes n'en tirent, d'ailleurs, des conclusions cartiéristes que tardivement».

Préface : coûteuse Algérie

Dans sa thèse, Daniel Lefeuvre montre que l'Algérie, durant la période coloniale, loin d'être une source d'enrichissement pour la France, constitue un fardeau économique. En 1959, la colonie absorbe à elle seule 20 % du budget de l'État français, c'est-à-dire bien plus que les budgets de l'Éducation nationale, des Transports et des Travaux publics réunis. Cette caractéristique fut soulignée par l'historien Jacques Marseille :

  • « Chère, l'Algérie le fut surtout, et c'est l'objet de cet ouvrage, au porte-feuille du contribuable métropolitain. Tordant une nouvelle fois le cou à une complainte, dont la répétition finit par être lassante, Daniel Lefeuvre démontre, sans contestation possible, que la France a plutôt secouru l'Algérie qu'elle ne l'a exploitée. (...) Dénicheur de sources nouvelles, des archives jusque-là inexplorées de l'Armée aux archives d'entreprises, Daniel Lefeuvre renouvelle les approches et débusque les mythes. Il montre que l'immigration algérienne en France n'a correspondu à aucune nécessité économique, l'absence de qualification et de stabilité de cette main d'œuvre nécessitant la mise en place de mesures d'adaptation trop coûteuses aux yeux des patrons. Elle fut, par contre, un moyen de résoudre la surcharge démographique de l'Algérie et un choix politique, imposé par un gouvernement qui, comme pour le vin, a ouvert aux Algériens le débouché métropolitain, au détriment des ouvriers étrangers ».
  • « Daniel Lefeuvre montre aussi, avec de belles et bonnes formules, que des années 1930 aux années 1960, l'Algérie a été placée sous "assistance respiratoire". Incapable de subvenir à ses besoins par ses propres moyens, sa survie était suspendue aux importations métropolitaines de produits de première nécessité et aux mouvements de capitaux publics qui volaient au secours de déficits croissants. C'est parce qu'il estimait que la puissance de la France dépendait du maintien de sa souveraineté sur l'Algérie, et non par nécessité économique, que le gouvernement a consenti ces sacrifices considérables, la lucidité des comptables du Trésor qui en chiffraient le coût ne paraissant pas avoir joué un rôle déterminant dans l'évolution des politiques ».

Le livre Chère Algérie : apports à l'histoire

Une Algérie coloniale très peu industrialisée

Si Daniel Lefeuvre s'intéresse à l'industrialisation de l'Algérie dans la période 1930-1962, c'est qu'auparavant, elle n'existait quasiment pas. La colonie algérienne est longtemps restée une économie agricole, ce qui freinait son développement. En 1900, le comte de Lambel dressait le tableau synthétique suivant :

  • «À part quelques établissements métallurgiques, l'industrie algérienne possède peu d'entreprises dignes d'êtres signalées ; mais les opérations commerciales deviennent de plus en plus considérables. Avant la conquête, elles ne dépassaient guère cinq à six millions ; de nos jours leur importance s'élève à plus de cent cinquante millions. L'Algérie reçoit de la France : café, sucre, vin, eau-de-vie, farine, savons, peaux préparées, fers, fontes, aciers, faïence, porcelaine, verrerie, etc. Elle expédie sur notre continent : blé, laine, huile d'olive, coton, tabac, peaux brutes, soie, liège, plomb, corail, crin végétal, légumes, fruits, essences, bois de thuya, etc.».

En 1906, L'Argus, journal international des assurances, écrivait : «L'industrie algérienne, réduite presque uniquement aux entreprises de transport, aux exploitations minières, aux arts du bâtiment et de la construction, aux transformations du premier degré de certains produits agricoles, est, pour ainsi dire, encore en enfance».

Et en 1913, le directeur de l'école normale d'instituteurs d'Aix-en-Provence, A. Gleyze, publie une Géographie élémentaire de l'Afrique du Nord qui fournit les explications suivantes :

  • «L'industrie algérienne est avant tout une industrie extractive. Les industries manufacturières ne peuvent guère s'y développer, d'abord en raison de l'absence de houille ou de chutes d'eau ; ensuite parce qu'elles entreraient en concurrence avec des industries similaires existant en France, pourvues d'un outillage perfectionné et d'un personnel habile. Seules se sont créées des industries répondant à des besoins locaux : tuileries, briqueteries, huileries, savonneries, distilleries. Quant aux industries indigènes, elles périclitent de plus en plus malgré faits pour les relever».

Autre souci pour l'économie algérienne : la pénurie de main d'œuvre. L'émigration nord-africaine à la recherche de travail en métropole avait commencé avant 1914. La guerre lui donne une impulsion nouvelle : 78 000 Algériens sont présents en France en 1918. Les colons se plaignent, ils trouvent difficilement à embaucher des moissonneurs. «Le flux migratoire s'intensifia à partir de 1922 et pour la seule année 1924 on enregistra l'entrée en France de 71 028 Algériens». Les responsables économiques et politiques algériens expriment plusieurs inquiétudes : les travailleurs de retour dans la colonie véhiculent la tuberculose et constituent des foyers de contagion particulièrement meurtriers ; ils reviennent avec des idées révolutionnaires acquises au contact des ouvriers métropolitains. Et surtout l'immigration : «entraîne une telle raréfaction de la main d'œuvre, une telle hausse de son prix que l'essor économique de la colonie est menacé», rapporte Daniel Lefeuvre.

La crise de l'Algérie française, 1930-1962

Les années 1930

La crise des années 1930 révèle «les bases fragiles de la prospérité algérienne» : «l'économie algérienne souffrait, en fait, de bien d'autres faiblesses que de l'insuffisance de la main d'œuvre, qui a tant polarisé l'attention des autorités politiques et économiques». Daniel Lefeuvre les répertorie :

  • la débâcle du secteur minier.
  • le reflux des exportations agricoles.

Et pourtant, les quantités de diverses marchandises introduites en Algérie s'élèvent : «non seulement l'Algérie n'a pas diminué sa consommation de marchandises étrangères, mais elle l'a même augmentée». L'explication réside dans le «repli économique franco-impérial. La part de la métropole qui était d'environ 70% des exportations algériennes à la fin des années 1920, s'élève jusqu'à 89% en 1932 et à près de 90% en 1933». L'Algérie, aussi, accueille plus facilement les produits métropolitains : elle achetait 5% des expéditions françaises en 1929, mais 8% en 1931, 13,6% en 1933 et encore 11% en 1936.

  • «Mais cette percée des exportations françaises s'accompagne de lourds sacrifices sur les prix. "Contrairement à la légende d'une France abusant de ce marché protégé pour s'approvisionner à meilleur compte et écouler ses marchandises trop chères, c'est l'Algérie qui profita du repli de l'économie franco-impériale. Les termes de l'échange furent depuis 1930 favorables à l'Algérie" [révélait déjà Charles-Robert Ageron], ce que confirment les calculs de Jacques Marseille sur l'évolution des termes de l'échange de l'Algérie entre 1924 et 1938».

Ces fragilités de l'économie algérienne se stabilisent : «Les années 1930 marquent, en effet, un tournant décisif dans la vie de la colonie. Elles ont révélé une série de handicaps majeurs de l'économie algérienne. Désormais, la prospérité algérienne est suspendue aux relations avec la métropole. La province est placée sous assistance respiratoire. (...) L'Algérie est incapable de subvenir à ses besoins par ses propres moyens». La notion de «pillage colonial» n'a donc aucune pertinence ici.

  • «L'intégration de l'Algérie dans l'ensemble français a permis à la colonie de pratiquer des prix sans rapport avec les cours mondiaux (...) Ce qui est vrai des minerais l'est aussi pour les produits agricoles. Comment soutenir que la métropole cherchait à s'approvisionner à bon compte dans sa colonie ?» interroge Daniel Lefeuvre.

Le défi démographique

Aux défauts et déséquilibres de l'agriculture, de l'exploitation minière, du commerce extérieur et des finances algériennes, s'ajoute le défi de l'augmentation considérable de la population algérienne.

La question démographique présente plusieurs aspects aux yeux des responsables de la colonie algérienne :

  • croissance globale de la population : 5,2 millions en 1906, 7,7 millions en 1936.
  • vitalité démographique des Musulmans et détérioration du rapport entre le nombre d'Européens et le nombre d'Algériens : 1 pour 5,5 en 1926, 1 pour 5,9 en 1936, 1 pour 7,3 en 1948, 1 pour 8,7 en 1960.
  • essor de l'urbanisation, dû à la croissance naturelle et à l'exode rural. «Cette extension urbaine d'origine essentiellement musulmane change la physionomie des villes, augmentant encore le sentiment d'isolement, d'encerclement qu'éprouvent les citadins européens».
  • apparition d'une ceinture de taudis insalubres «où s'entasse une population déracinée en quête d'emploi» : «En 1934, la langue française s'enrichit d'un mot nouveau : bidonville, du nom d'un quartier d'Alger».

Bien que la colonie algérienne connaisse une certaine amélioration, sa croissance n'est plus en phase avec celle de la population :

  • «La prise de conscience du déséquilibre grandissant entre l'énorme accroissement de la population musulmane et la relative stagnation des ressources ouvre une quête éperdue de solutions miraculeuses, c'est-à-dire de solutions qui ne remettent pas en cause les fondements coloniaux de la société algérienne».

Au nombre de celles-ci, il faut mentionner :

  • l'impensable limitation des naissances. Il fut préconiser d'étendre les allocations familiales mais quand Robert Lacoste évoque cette solution, «il se heurte aux conclusions d'un mémoire confidentiel, commandé par le président du Conseil à l'Association syndicale des administrateurs civils d'Alger qui met en garde le Gouvernement contre une générosité déplacée car "le Musulman voit dans les allocations familiales non la possibilité d'élever le niveau de vue des siens, mais une source de revenus qui l'incite à multiplier les naissances tout en laissantstagner sa famille dans la même indigence. L'institution manque donc ici son but et entraîne une aggravation sensible de la natalité. Il est indispensable de limiter l'octroi des allocations familiales au quatrième enfant". Le système algérien (...) visait, en privilégiant les salariés du commerce et de l'industrie, d'origine essentiellement française, à maintenir sur place la main d'œuvre qualifiée nécessaire au développement de la colonie, à répondre aux revendications de la population européenne. Mais, par toute une série de dispositions, il tendait, en revanche, à pénaliser les familles nombreuses et à bas revenus, pour la plupart d'origine musulmane».
  • les mirages nigérien et guyanais, visant «tout simplement à déplacer hors d'Algérie une partie de sa population». Rêveries qui n'eurent aucun effet sur la réalité.
  • l'aménagement du Chott ech Chergui consistant à fertiliser des terres nouvelles grâce à la récupération des eaux souterraines du Sahara : «La portée démographique de ces aménagements serait considérable. Un hectare de culture irriguée occupe de 2 à 5 personnes tout au long de l'année. En y ajoutant les personnels nécessaires aux différents chantiers (...), la récupération des eaux du Chott offrirait la possibilité de créer 500 000 emplois nouveaux». En 1955, l'Assemblée algérienne vote encore un crédit de 650 millions, mais l'année suivante le projet est définitivement abandonné.

On envisagea même une colonisation, par des Algériens musulmans, des départements métropolitains en cours de dépeuplement. Cependant : «Une autre perspective retenait l'attention : l'emploi massif de travailleurs algériens dans l'industrie, le bâtiment et les travaux publics en France. Encore fallait-il que cette solution réponde à des besoins exprimés par les entreprises».

La France : exutoire démographique ?

Pour les dirigeants de la colonie, l'exode des Algériens apparaît désormais comme nécessaire à la survie de nombreuses familles et au maintien du calme politique.

  • «Face à la recrudescence des départs enregistrés en 1930, le ton a changé en Algérie. À l'hostilité déclarée des années antérieures succèdent des mesures d'encouragement. L'affirmation selon laquelle les colons se seraient toujours opposés à l'émigration des Algériens musulmans vers la France est donc parfaitement inexacte».
  • «Contrairement à l'affirmation de MM. Laroque et Ollive, selon laquelle les migrations entre la France et l'Algérie étaient "essentiellement commandées par les variations de l'économie métropolitaine", c'est principalement la situation en Algérie qui régit désormais l'importance des départs pour la métropole, la conjoncture métropolitaine n'intervenant que comme un "agent perturbateur"».
  • «Depuis 1931, en Algérie, le problème de la main d'œuvre n'est plus perçu en termes de pénurie mais en termes d'excédent : le chômage s'est considérablement développé, le nombre des secourus en forte croissance, pèse lourdement sur les finances communales (...). Dans ces conditions, l'exode vers la métropole constitue un expédient commode. Les responsables algériens y voient une occasion de se débarrasser d'une partie des indigents et des chômeurs, éventuels fauteurs de troubles. (...) De ce fait, l'émigration a changé de contenu : dans les années 1920, les départs étaient liés à l'attrait exercé par les hauts salaires métropolitains. Après 1930, quelles que soient les capacités réelles d'embauche en métropole, les indigènes algériens sont contraints néanmoins de quitter leur pays».

Après guerre, la France avait besoin, selon les calculs de Jean Monnet et d'Ambroise Croizat, ministre du travail, de 1 500 000 travailleurs pour son économie. Pour les autorités algériennes, on pouvait trouver une partie de cette main d'œuvre dans la colonie. C'était le principe de la «préférence nationale» face aux immigrés étrangers, tel que l'expliquait le directeur de la main d'œuvre au ministère du travail : «la France ne peut absorber d'étrangers qu'autant que sera réglé la question des excédents de main d'œuvre algériens», cité par Daniel Lefeuvre.

Mais tout le monde n'est pas d'accord sur cette option. Les experts de la rue Martignac, suivis par le Quai d'Orsay, préfèrent une main d'œuvre étrangère, notamment italienne.

En avril 1952, à Alger, le CNPF explique au Congrès patronal nord-africain : «L'industrie métropolitaine offre des perspectives d'emploi réduites à la main d'œuvre nord-africaine (...) Il faut se convaincre que l'industrie métropolitaine ne sera jamais en mesure d'absorber tous les excédents de main d'œuvre algérienne». Ce qui fait dire à Daniel Lefeuvre : «C'est dire combien, à cette époque, le patronat métropolitain se souciait peu de recruter des travailleurs nord-africains».

  • Il n'empêche que, par la liberté de passage accordée en 1946 et par le statut du 20 septembre 1947 qui confère la citoyenneté aux Musulmans d'Algérie : «entre 1947 et 1955, plus d'un million d'Algériens franchissent la Méditerranée, et la balance entre les entrées en France et les retours en Algérie dégage, pour cette période, un solde positif de 241 217 entrées».

Les réticences du patronat français de métropole s'expliquent par l'inadéquation entre les exigences de l'économie française et l'offre algérienne de main d'œuvre. Le Commissariat général au plan écrit dans sa revue, en juillet 1954 : «La brusque arrivée de 100 000 ou 200 000 Nord-Africains dans une économie où l'accroissement de la productivité serait tel que les besoins en main d'œuvre rurale deviendraient sans cesse moindres, susciterait une crise sociale tant dans la métropole qu'en Algérie, particulièrement difficile à résorber».

Un choix politique opposé à la rigueur économique

Au terme de démonstrations implacables, Daniel Lefeuvre bouscule donc le stéréotype d'une immigration coloniale qui aurait été vitale à l'économie de la France après la guerre :

  • «Ainsi, pas plus qu'au cours des périodes antérieures, sauf quelques conjonctures exceptionnelles, l'immigration algérienne n'a constitué un facteur indispensable à la croissance économique française. Jusqu'à la veille de la guerre d'Algérie, cette immigration est même combattue par les organismes patronaux et boudée par les employeurs».

Les Algériens sont poussés à l'exode par les conditions économiques et sociales locales et peuvent se rendre en France. Mais ce ne fut pas une revendication patronale métropolitaine : «Pour des raisons politiques, l'État leur a assuré une certaine priorité dans l'accès au marché métropolitain du travail, par des dispositions réglementaires et en rendant plus difficile, au moins jusqu'en 1955, l'introduction d'ouvriers étrangers. Toujours pour des motifs politiques, les grandes organisations patronales, l'UIMM d'abord, le CNPF ensuite, se sont ralliées au point de vue de l'État et ont incité les employeurs à recruter plus largement du personnel algérien».

Cette préférence politique a eu des conséquences économiques et sociales coûteuses :

  • mécontentement de partenaires économiques importants, l'Italie en particulier.
  • engagement de dépenses spécifiques (logement, foyers, formation professionnelle).

Quant à l'Algérie, elle se trouve totalement tributaire de la métropole pour l'exportation de sa main d'œuvre, avec un double déficience :

  • inadaptation de son offre par rapport aux besoins du marché métropolitain.
  • infériorité de son offre par rapport à la concurrence étrangère, de l'Europe méridionale principalement.

L'industrialisation, une affaire d'État

Les responsables de la colonie ont effectué un revirement sur l'industrialisation, passant du refus à l'adhésion :

  • «En 1937, l'industrialisation de l'Algérie est brandie par le président de la Région économique d'Algérie comme une menace qui léserait gravement les intérêts de l'industrie métropolitaine. Un an plus tard, cette évolution est jugée vitale».

L'historien économiste Hubert Bonin a perçu l'importance de toutes ces poussées vers l'industrialisation :

  • «L'apport le plus important du livre réside dans le passage au peigne fin des efforts d'industrialisation de l'Algérie. Certes, [l'auteur] précise mal, faute de sources, en quoi consistent les débouchés concrets des ateliers installés outre-mer ; mais, finalement, malgré l'absence de cartes, on découvre une floraison d'ateliers, d'usines, autour des grands pôles portuaires essentiellement, destinés à procurer des biens de consommation courants (savonneries), des semi-produits au plus proche de la transformation finale des matériaux importés (pièces mécaniques et métallurgiques) ou des matériaux (ciment)».
  • Le capitalisme industriel se modèle spontanément autour de ses marchés, et cette configuration reflète la structure de ces derniers (une frange d'Européens et de musulmans aisés, les grosses exploitations agricoles, des achats publics, l'armée, les commandes de quelques firmes de services, comme les chemins de fer et les entités actives sur les ports, etc.). Aller plus loin dans l'industrialisation légère aurait supposé un marché plus étoffé».

L'industrialisation et la guerre d'Algérie

Les déconvenues de la politique industrielle au début des années 1950 ont dû affronter une séquence politique nouvelle à partir du 1 Novembre 1954.

  • «Depuis 1949, l'industrialisation de l'Algérie est en panne, victime à la fois du rétablissement des relations commerciales avec la métropole et de conditions locales défavorables. Victime aussi, peut-être, du calme politique qui règne dans la colonie depuis la répression des émeutes du Constantinois, et qui rend moins pressants les efforts à accomplir pour le développement économique du territoire», remarque Daniel Lefeuvre, qui ajoute :
  • «Le déclenchement de la guerre d'Algérie accule le gouvernement à engager une politique de réformes économiques et sociales plus novatrice que celle définie par le deuxième plan et à se montrer beaucoup plus généreux que prévu. L'industrialisation retrouve à cette occasion les faveurs de l'État. Mais quels types d'industries faut-il implanter en Algérie ? Quelle est la nature et le niveau de l'aide ? à leur apporter ? La réponse à ces questions est l'enjeu d'un vif affrontement qui dure de l'été 1956 à l'été 1958, entre les services économiques du Gouvernement général et les experts de la rue Martignac. Faute de doctrine, deux années durant, l'action de l'État est frappée d'inefficacité, malgré le bond des crédits publics engagés en Algérie».

Deux questions polémiques

L'Algérie, eldorado ou fardeau colonial ?

Ceux qui n'avaient pas guère prêté attention aux travaux de Jacques Marseille, ont été surpris des thèses et conclusions de la thèse de Daniel Lefeuvre. On pensait la France féroce exploiteuse de l'Algérie colonisée. L'historien montre un bilan beaucoup plus équilibré :

  • « Pour une minorité d'entrepreneurs, l'Algérie a été une bonne affaire. À la veille de l'indépendance, les départements d'outre-Méditerranée absorbent près de la 20 % de la valeur totale des exportations de la métropole, soit cinq jours de production par an. Dans ces secteurs (huiles et corps gras, tissus de coton, chaussures...), la situation est d'autant plus enviable que la marchandise est écoulée en Algérie à des prix supérieurs aux cours mondiaux. Mais, la métropole y perd davantage, en commerçant avec l'Algérie, qu'elle n'y gagne. La France constitue le débouché quasi unique des produits algériens, éliminés du marché mondial en raison de leurs prix trop élevés : en 1959, elle absorbe 93 % des expéditions algériennes. Plus grave, ces produits ou bien la métropole peut se les procurer moins chers ailleurs (agrumes, dattes, liège) et s'ouvrir de nouveaux marchés en échange, ou bien elle n'en a pas besoin, comme ces 13 millions d'hectolitres de vin (la moitié des exportations totales de la colonie). Quant au pétrole du Sahara, après 1956; il revient à 1,10 dollar le baril, quand celui du Proche-Orient coûte 10 cents !».

L'immigration algérienne ? Pas un besoin économique pour la France

La thèse de Daniel Lefeuvre a mis en évidence les réticences du patronat français à recourir à la main d'œuvre algérienne. Cette idée contredit le préjugé qui veut que cette immigration aurait été indispensable au redressement de la France après 1945 et à l'essor des Trente Glorieuses :

  • « A-t-on appelé les Algériens pour participer au relèvement de la France après la Seconde Guerre mondiale ? À quelques rares exceptions, non. C'est la misère qui les chasse d'Algérie et non les besoins métropolitains en main d'œuvre. Ces besoins existent. Ils ont été estimés, en 1947, à 1,5 million de travailleurs sur cinq ans. Mais c'est en Europe qu'experts du Plan et patrons veulent recruter. Si la main d'œuvre algérienne s'est finalement imposée, c'est parce que l'État lui a accordé une priorité d'embauche. En 1955, une enquête patronale révèle "qu'il est impossible [...] de recruter des étrangers [dont] les services de la main d'œuvre ont volontairement limité [le nombre]". Pourquoi ? L'explication est fournie, en 1953, par le directeur de la main d'œuvre au ministère du travail qui attribue, "dans une grande mesure", le calme qui règne en Algérie au fait "qu'un grand nombre de ses ressortissants ont pu venir en France continentale". La même année, le CNPF informe les patrons français qu'ils détiennent "la meilleure carte politique de la France en Algérie" en offrant aux Algériens les moyens de gagner leur vie. Encore une fois, l'enjeu est politique : garder l'Algérie française ».

Réactions au livre Chère Algérie

  • Hubert Bonin : «Jacques Marseille avait, dans sa thèse, lancé l'idée que l'Empire n'était pas rentable. Daniel Lefeuvre l'a pris au mot et a réuni nombre de données pour débattre de la rentabilité de l'investissement européen en Algérie : est-ce que les ressources naturelles algériennes étaient alléchantes pour les investisseurs ou les acheteurs ? est-ce qu'il était intéressant, pour une société métropolitaine, d'investir en Algérie ?».
  • «Même si on peut lui reprocher de manquer de cartes de flux et de localisations, le livre répond parfaitement à ces questions d'histoire économique quelque peu brutale ; mais, au-delà de la sécheresse des faits, il laisse une impression de malaise social : quand il discute de la faiblesse du marché intérieur algérien - l'une des sources déterminantes des réticences à investir sur place -, il présente tant de données sur la misère, les inégalités au sein de la population et le faible niveau de vie de la population autochtone que l'on ne peut, à l'évidence, que penser que l'histoire économique ne reste pas isolée de l'histoire politico-sociale. Et c'est ce qui donne tout son intérêt à un ouvrage a priori pointu et qui se transforme au fils des pages en un livre d'histoire algérienne dans tous les sens de l'expression».

Le livre Pour en finir avec la repentance coloniale

La vague de "repentance" coloniale

Interrogé par le journal Le Figaro, Daniel Lefeuvre s'est expliqué sur cette notion :

  • « Amplifié à l'extrême ces cinq ou six dernières années, le phénomène tient moins à des questions historiques qu'à des problèmes politiques. Il est lié aux difficultés rencontrées par certains jeunes des banlieues à se faire une place dans la société. Il est lié aussi au malaise qu'ont ressenti des intellectuels français engagés dans le soutien au tiers-monde quand ils ont dû constater l'échec politique, économique, social et même culturel des nations anciennement colonisées. L'exemple de l'Algérie montre qu'une référence pervertie à l'héritage colonial permet aux dirigeants algériens de s'exonérer à bon compte de leurs responsabilités. En accusant la colonisation de tous les péchés du monde, on reporte sur le passé les difficultés du présent. En France, où les politiques d'intégration et de lutte contre le racisme montrent des limites, la stigmatisation du passé colonial est un exutoire facile, mais largement abusif ».

Historiquement parlant, le projet colonial fut d'abord un projet républicain, avec un fort ancrage à gauche. Pourquoi l'avoir oublié, s'interroge Daniel Lefeuvre :

  • « Parce que la gauche républicaine est passée d'un colonialisme pensé comme "devoir de civilisation" à un anticolonialisme imposé par le monde d'après 1945, sans examen de conscience des injustices que colportait le premier ni des naïvetés qui accompagnaient le second. Au XIX siècle, si Jules Ferry est le praticien de la colonisation, Léon Gambetta en est le théoricien. Ces deux hommes, en effet, se situent à gauche de l'échiquier politique. À cette époque, le projet impérial n'est pas très populaire. Il est dénoncé par une partie de la droite. Les plus critiques sont les nationalistes, qui estiment que le projet colonial détourne les Français de la revanche sur l'Allemagne, et les économistes libéraux dont la pensée se retrouvera, soixante-dix ans plus tard, chez Raymond Aron. Les radicaux ne se rallient à la politique coloniale qu'à l'extrême fin du siècle, alors que les socialistes glissent du rejet du colonialisme à une politique de réformisme colonial ».

Les thèses du livre

Contexte intellectuel

Réactions et critiques

Réactions favorables

  • Benjamin Stora : « Je trouve son livre intéressant à plus d'un titre. D'abord, Daniel Lefeuvre s'appuie sur des faits, des chiffres, des dates, des données économiques très détaillées pour mener sa démonstration. Ensuite, dans cette querelle, plus idéologique qu'historique, trop souvent nous n'entendons que le point de vue des protestataires : Daniel Lefeuvre restitue ici le discours de l'État et son point de vue. En cela, il corrige une tendance historiographique qui consiste à ne s'intéresser qu'aux symboles, aux représentations et aux imaginaires des uns et des autres ».
  • André Larané : « Depuis le début du XXI siècle monte en France un débat autour du passé colonial avec une question très actuelle : les jeunes Français issus des anciennes colonies (Antilles, Afrique du nord, Afrique noire) doivent-ils se considérer comme des victimes de ce passé ? Daniel Lefeuvre a répondu avec un essai court mais solidement argumenté : Pour en finir avec la repentance coloniale. Il démonte avec les bons vieux outils de l'historien (analyse critique des sources et des chiffres, contexte, comparaisons historiques...), les contrevérités, les trucages et les billevesées des anticolonialistes de salon qu'il appelle les "Repentants". Le résultat a de quoi surprendre : – La conquête de l'Algérie et des autres colonies ? Des guerres ni plus ni moins cruelles que les guerres européennes, – Le bilan économique de la colonisation ? Une perte nette pour la métropole et un transfert de richesses au profit des colonies très supérieur à l'actuelle aide au développement, – Les immigrants des anciennes colonies dans la société française ? Une intégration beaucoup plus aisée que ne le fut celle des immigrants d'origine européenne (Italiens, Polonais...) ! La démonstration de Daniel Lefeuvre nous invite à réfléchir sur notre passé et sur... les motivations plus ou moins conscientes des « Repentants » dans leur volonté de victimiser les enfants de l'immigration ».
  • Dominique Chathuant : «Spécialisé dans l’histoire de l’Algérie coloniale, Daniel Lefeuvre est l’auteur de Chère Algérie, ouvrage tiré de sa thèse où il démontrait le caractère particulièrement onéreux de la colonisation française dans ce pays. Le livre lui a valu, dans la presse algérienne, le titre, sans doute fort peu agréable, d’historien "révisionniste". Ce modèle d’une colonisation qui, contrairement aux théories énoncées par Lénine (l’impérialisme comme stade suprême du capitalisme), peut coûter davantage qu’elle ne rapporte, n’est pas sans rappeler un schéma déjà développé par Jacques Marseille. (...) Dans ce petit ouvrage, adoptant tantôt une rhétorique de la controverse, tantôt un style plus classique, Daniel Lefeuvre s’insurge contre ceux qu’il désigne comme "les Repentants", dont il dénonce la vaste campagne qui consiste à amener la France à faire repentance de ce huitième péché capital qu’a été la colonisation. Intervenant de plus en plus dans les médias, les "Repentants" expliqueraient tout fait de société par l’héritage colonial. Parmi les cibles nommément identifiées, on retrouve Olivier Le Cour Grandmaison, récemment épinglé sur le plateau de Franz-Olivier Giesbert par Franz-Olivier Giesbert, l’islamologue suisse Tariq Ramadan, le journaliste Dominique Vidal, figure du Monde diplomatique co-auteur d’ouvrages récents relatifs à la colonisation et Gilles Manceron, historien et dirigeant, avec d’autres, de la Ligue des droits de l’homme. Une place de choix est réservée à la mention des ouvrages généralement co-dirigés par Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, noyau de l’équipe de l’ACHAC, à l’origine de nombreux travaux sur les zoos humains (...). Le Livre noir du colonialisme n’est pas oublié non plus. À la première page, le récent appel des soi-disant "indigènes de la République" est la première cible identifiée. À la dernière page, l’ultime cible est le MRAP, dont on connaît la difficulté qu’il a à tenir un discours laïque tout en s’érigeant régulièrement en défenseur d’une religion particulière, quoi qu’il en dise lui-même».

Réactions mitigées

  • Nicolas Journay, magazine Sciences Humaines : «ceux que [Daniel Lefeuvre] nomme les "repentants" ne s’appuient, selon lui, sur aucune révélation nouvelle, mais sur une construction idéologique qu’il entreprend de démolir. Non, la conquête de l’Algérie ne fut pas un génocide, les chiffres invoqués n’étant que des hypothèses peu fiables. Non, le crime de guerre et le massacre n’ont pas été inventés aux colonies : ils n’ont pas attendu si longtemps. Non, l’Afrique du Nord n’a pas été une vache à lait, car l’apport de ses ressources est toujours resté secondaire et le solde des échanges souvent négatif pour la métropole. Non, la France n’a jamais invité les ouvriers algériens à émigrer en masse pour les rejeter ensuite. Non, ils n’ont pas été plus mal accueillis que les autres immigrés. Non, il n’y a pas eu d’islamophobie dominante en France. En conséquence : "Prétendre que les Français doivent faire acte de repentance pour expier la page coloniale de leur histoire relève du charlatanisme ou de l’aveuglement". Qu’on apprécie ou non cette conclusion, il faut reconnaître que les contre-feux allumés par Daniel Lefeuvre suffisent à introduire le doute, mais pas vraiment à emporter la conviction. D’autres pages semblent nécessaires pour réinstruire ce procès, dont l’issue, par ailleurs, ne dépend pas que du passé ni des travaux des historiens mais de faits bien plus actuels».

Réactions défavorables

  • Benjamin Stora : « Trop souvent parmi la nouvelle génération d'historiens, même quand ils sont engagés, et en l'occurrence anticolonialistes, leurs sources sont unilatérales : ici, Daniel Lefeuvre, à quelques exceptions près, ne travaille qu'à partir des sources françaises » ; « Ceux qui dénoncent cette "tyrannie de la pénitence" disent que tout a été écrit. Que la page a été tournée, et qu'il faut passer à autre chose... Bref, on évacue la question coloniale, sans même s'être penché sur la transmission de cette histoire ! Il ne s'agit évidemment pas de se flageller. Prenez l'appel contre la torture, dit "appel des douze", publié dans L'Humanité le 31 octobre 2000. Ce texte signé par Germaine Tillion, Pierre Vidal-Naquet et Madeline Rebérioux réclamait que la France "condamne la torture qui a été entreprise en son nom durant la guerre d'Algérie". Est-ce un appel de pénitents ? Pas du tout. C'est, à ma connaissance, le seul appel récent sur cette question. Pourquoi s'interdirait-on de regarder le passé ? »
  • Catherine Coquery-Vidrovitch critique la méthode et les exemples apportés par Daniel Lefeuvre. Certains de ses propos sur le Maghreb ont été critiqués par Daniel Lefeuvre, qui lui reproche notamment ses affirmations, selon lesquelles, dans l'entre-deux-guerres « le Maghreb allait à son tour remplir les caisses de l'État, et surtout des colons et des industriels intéressés, grâce aux vins et au blé d'Algérie, et aux phosphates du Maroc ».

À la suite des travaux de René Gallissot, Daniel Lefeuvre soutient au contraire « qu'à partir des années 1930, non seulement le Maghreb ne remplit pas les caisses de l'État, bien au contraire, mais encore que les colons subissent une crise de trésorerie dramatique qui aurait conduit la plupart à la faillite si la Métropole n'avait volé à leur secours ». Il s'oppose également à l'affirmation selon laquelle « à partir des années 1950 […] l'Afrique noire à son tour, allait soutenir l’économie française. Dans la continuité des travaux de Jacques Marseille selon lesquels la domination coloniale, loin d'avoir été un "eldorado" a été un « tonneau des Danaïdes » pour les contribuables français, après la Première Guerre mondiale et plus encore après la Seconde.

Pour ce qui concerne l'Afrique noire à partir des années 1950, Daniel Lefeuvre soutient lui que « jamais au cours de cette période, ni l'AOF, ni l'AEF ne dégagèrent une balance commerciale positive avec la France, leur déficit commercial cumulé s’élevant à 3 988,6 millions de NF ». Daniel Lefeuvre conteste l'estimation donnée par Catherine Coquery-Vidrovitch, dans Le livre noir du colonialisme que la guerre d'Algérie aurait fait un million de victimes parmi la population algérienne musulmane. Daniel Lefeuvre a répondu à cette critique, en en soulignant notamment les nombreuses erreurs factuelles. Claude Liauzu, professeur à l’université Denis-Diderot Paris-VII et ancien militant communiste anticolonialiste, a réagi lui aussi en se demandant « comment critiquer les 'repentants' sans faire de même pour les nostalgiques de la colonisation ? »

Le livre sur l'identité nationale

Une controverse historienne

Daniel Lefeuvre est l'auteur - avec Michel Renard, historien spécialiste de l'islam en France - du livre Faut-il avoir honte de l'identité nationale ? (2008) : cet ouvrage propose une réflexion historiographique sur la notion d'identité nationale cherchant à déconstruire les récents discours qui réduisent son usage à de la xénophobie ou à des manœuvres électorales. C'est un livre qui s'inscrit dans le contexte de ces controverses.

  • À travers les œuvres majeures de l'école historique française, mais aussi en rappelant nombre de réflexions de philosophes et d'écrivains, les auteurs démontrent que l'identité nationale est d'abord un fait historique - le passé de la France elle-même - et l'expression rationalisée et critique du sentiment d'appartenance à cet héritage. Ils souscrivent aux propos de l'historien britannique Theodore Zeldin dans son Histoire des passions françaises : « Aucune nation, aucune démocratie ne peut écrire sa propre histoire sans reconnaître à la France une dette ou une influence directe. L’histoire de France aura toujours un sens pour l’histoire universelle ».

Ils s'appuient sur l'observation de l'historien Fernand Braudel qui écrivait dans L'identité de la France (1986) :

  • « Une nation ne peut être qu'au prix de se chercher elle-même sans fin, de se transformer dans le sens de son évolution logique, de s'opposer à autrui sans défaillance, de s'identifier au meilleur, à l'essentiel de soi, conséquemment de se reconnaître au vu d'images de marque, de mots de passe connus des initiés (que ceux-ci soient une élite, ou la masse entière du pays, ce qui n'est pas toujours le cas). Se reconnaître à mille tests, croyances, discours, alibis, vaste inconscient sans rivages, obscures confluences, idéologies, mythes, fantasmes… En outre, toute identité nationale implique forcément, une certaine unité nationale, elle en est comme le reflet, la transposition, la condition ».

Aux spécialistes de littérature ou des "sciences sociales" qui réduisent l'idée de nation à un stéréotype ou à une convention récente et arbitraire - comme Anne-Marie Thiesse : « La nation naît d'un postulat et d'une invention » - les auteurs opposent Maurice Agulhon, l'historien de Marianne et de la culture politique républicaine, professeur au Collège de France :

  • « C'est une idée en passe de devenir banale aujourd'hui que de dénoncer comme artificielle la construction du sentiment national. La France a été fabriquée. Soit. Mais qu'est-ce qui est naturel en histoire ? Existe-t-il d'autres naturels en histoire que des artificiels qui ont duré ? La durée n'est-elle pas la seule matière de l'histoire ? »

L'humanisme patriotique

Daniel Lefeuvre et Michel Renard demandaient qu'on réfléchisse aux positions de multiples personnalités françaises connues pour leur humanisme patriotique éloigné de toute xénophobie :

  • Simone Weil : « Il serait vain de se détourner du passé pour ne penser qu'à l'avenir. C'est une illusion dangereuse de croire qu'il y ait même là une possibilité. L'opposition entre l'avenir et le passé est absurde. L'avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien-; c'est nous qui pour le construire devons tout lui donner, lui donner notre vie elle-même. Mais pour donner, il faut posséder, et nous ne possédons d'autre vie, d'autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréés par nous. De tous les besoins de l'âme humaine, il n'y en a pas de plus vital que le passé. L'amour du passé n'a rien à voir avec une orientation politique réactionnaire ».
  • Louis Aragon, dans la concurrence symbolique entre les différentes de pensée politiques, avait choisi le combat. Il présentait au philosophe communiste Georges Politzer – fusillé par les nazis en mai 1942 au Mont-Valérien – sa tentative de « réclamer notre héritage à la fois de l'histoire et des légendes (…) pour se faire entendre des Français ». Il témoignait : « J'expliquai à Politzer le fond de ma pensée : aux mythes de la race, opposer les images de la Nation (…) au sens initial français du mot, qui ne préjuge pas de l'emploi nazi des mythes ». Pour l'écrivain communiste : « les mythes remis sur leurs pieds ont force non seulement de faire rêver, mais de faire agir, de donner à l'action et aux songeries de chez nous cette cohésion cette unité qui paraissaient alors, en 1941, si hautement désirables. Voilà ce que je dis à Politzer, et que Politzer approuva ».
  • Jean Paulhan invitait déjà, en octobre 1939, à "réapprendre la France". Il fallait de l’audace, alors, pour formuler une telle incitation, comme son fils, Jean-Kelly Paulhan, le rappelle : « Avant la défaite de 1940 : oser la "Patrie", la nommer, à plus forte raison l'exalter apparaissait non pas incompréhensible, mais impossible, odieux ; c'était donner l'impression de faire allégeance au nationalisme, jugé responsable de la Grande Guerre, se ranger dans les rangs d'une droite conservatrice qui avait fini par monopoliser la Patrie, comme si elle avait été seule à même de la comprendre, de l'assumer, de la défendre ».
  • Édith Thomas, romancière et conservateur aux Archives nationales, avait imaginé, en juillet 1940, avant le vote des pouvoirs constituants au maréchal Pétain, ce qu'un homme "assez courageux" aurait pu dire à l'Assemblée nationale : « Après aujourd'hui le silence retombe comme une dalle funéraire sur ce qui fut jadis la France. J'entends par là ce que fut la France dans le monde : le pays de Montaigne, et de Descartes, le pays de Voltaire et de la Révolution, la dispensatrice des mots magnifiques que nous croyions naïvement au devenir éternel : la liberté, l'égalité, la justice et la fraternité ».

Les auteurs de Faut-il avoir honte de l'identité nationale ? mobilisent l'historiographie et le legs du patriotisme humaniste pour rappeler la profondeur temporelle et la positivité émancipatrice de cette notion d'identité française.

Quelques polémiques

Dans le livre de Daniel Lefeuvre et Michel Renard, plusieurs personnalités ont été critiquées pour leurs approximations dans l'examen historiographique de l'identité nationale. Par exemple :

Suzanne Citron, auteur de Le Mythe national. L'Histoire de France en question (1987), reproche aux historiens du XIX siècle d'avoir véhiculé l'image d'une « Gaule mythique », négligeant le « melting-pot » finalement formé par les conquêtes capétiennes de nombreux territoires. Or, l'historien qui, après Jules Michelet (1798-1874) et avant Ernest Lavisse (1842-1922), a exprimé la longue durée de l'identité française fut Henri Martin (1810-1883), auteur d'une Histoire de la France depuis les temps les plus reculés jusqu'à 1789. Il écrit en 1837 :

  • « Fils des Gaulois par la naissance et par le caractère, fils des Romains par l'éducation, ravivés violemment par le mélange des barbares germains, alors que s'éteignait la vitalité de la civilisation antique, unis par de vieilles alliances à l'Ibérie et à la Grèce, nous pouvons comprendre aujourd'hui que ce n'est pas le hasard qui a mêlé dans nos veines au sang gallique le sang de toutes les grandes races de l'antiquité, qui a dirigé la lente formation du peuple français sur ce sol gaulois placé au centre de l'Europe (…). Tel devait être le théâtre préparé par la Providence pour une nation destinée à être le lien du faisceau européen et l'initiatrice de la civilisation moderne, pour une nation qui devait unir à l'originalité la plus marquée une aptitude unique à résumer en elle les qualités et les traits distinctifs épars chez les autres peuples, et à devenir l'abrégé de l'Europe ». Il y avait là l'inverse exacte d'une vision purgée de la diversité française.

Selon Gérard Noiriel, le 31 juillet 1914, «les partis socialistes se rallient à "l'Union sacrée". Trois décennies d'exaltation de "l'identité nationale" ont précipité la France dans la guerre la plus meurtrière de son histoire». Un marxisme sommaire avait assigné aux rivalités impérialistes la cause unique de la Grande Guerre, Noiriel y voit l'identité nationale.

  • Or, Aujourd’hui, les historiens n’invoquent plus de causes profondes au déclenchement de la guerre en août 1914. Jean-Jacques Becker pense qu’aucune théorie ne permet de l’expliquer et que son caractère inéluctable a été forgé a posteriori. Évoquant les recherches d’Henry Contamine (1957), il conclut « qu’il n’est pas sûr qu'il y ait d'autres causes aux guerres que des causes immédiates ». Et Michel Winock soutient qu'il faut : « avouer modestement notre ignorance sur la relation de causalité entre le bellicisme et la guerre elle-même ».
  • Quant à « l'exaltation de l'identité nationale », elle n'a jamais eu de voix uniforme. La gauche et la droite s'affrontent sur ce thème. Les patriotes sont « divisés en deux camps violemment antagonistes », écrit encore Jean-Jacques Becker. « D'un côté une France de droite qui n'a pas tout entière adhéré au nouveau nationalisme, mais qui le subit, qui ne croit plus à la Revanche, ni à la reconquête de l'Alsace-Lorraine, mais qui déteste la République telle qu'elle existe, en particulier la République anticléricale, et une France de gauche qui n'entend certes pas que la patrie puisse être en cause, mais pour qui la sauvegarde de la paix est très nettement devenue la principale préoccupation ».
  • Il y a eu des variations d'intensité dans le sentiment national tout au long des quarante ans qui séparent les débuts de la Troisième République du déclenchement du conflit mondial. La mobilisation du suscita d'abord « la stupeur et la consternation » avant de laisser la place à « la résolution » (Becker). Ce qui a joué ne fut pas un racisme généralisé visant un peuple étranger mais le sentiment que « la France pacifique était victime d'une agression injustifiée de la part de l'Allemagne » (Becker). Le même historien affirme très clairement que : « Dans leur immense majorité, les Français de 1914 étaient pacifistes ; ils allaient être surpris, souvent stupéfiés, voire consternés par la mobilisation générale, mais ils étaient trop patriotes pour refuser la guerre à n’importe quel prix ».

La trilogie du régime de Vichy et la Résistance

La devise du régime de Vichy (1940-1944) est présentée comme l'un des énoncés les plus répulsifs de l'idée nationale. Or, y eut-il moins national que le collaborationnisme de l'État français du maréchal Pétain et de Laval ? Mais si Vichy est méprisable, la cause en est moins ces trois mots que la politique impliquée par l'abandon de la devise républicaine.

  • Comme le remarque Maurice Agulhon : « les théoriciens de Vichy avaient leurs réponses précises (…) Mais ils n'ont pas osé proclamer une devise de haute abstraction politique telle qu'aurait pu être "Autorité, Hiérarchie, Ordre" et ils ont cru habile de mettre en avant, avec "Travail, Famille, Patrie", un trio de sympathiques banalités qui avaient déjà figuré dans la Constitution de 1848 et que la Troisième République avaient cultivées sans éprouver le besoin de les proclamer. Chaque terme en était et en reste ambigu ».

Le Régime de Vichy n'a donc pas illustré une politique de l'identité nationale, comme les contempteurs de cette notion le laissent croire. Il en a été l'exact opposé.

Comment ceux qui classent dans le camp du racisme l'allusion à l'identité nationale, interprètent-ils le combat contre l'occupation allemande ? Qu'est-ce que la Résistance sinon une lutte nationale ? Une lutte pour libérer un territoire, une lutte pour recouvrer son identité. Pierre Laborie, spécialiste de la période de Vichy et de la Résistance l'a bien relevé :

  • « C'est en dehors de Vichy et en grande partie contre lui, à travers le refus de ses valeurs et des compromissions sans fin de la collaboration, que l'identité de la nation s'est reconstituée, autour de l'héritage jacobin et des valeurs démocratiques de la tradition républicaine ».

L'Europe face à son passé colonial

Les 25, 26 et 27 avril 2007, s'est tenu à Metz un colloque organisé par Olivier Dard de l'université Paul-Verlaine et Daniel Lefeuvre de l'université Paris-VIII, en partenariat avec l'association Études Coloniales : L'Europe face à son passé colonial. Dans un article publié en 1992, Daniel Rivet, historien du Maroc de Lyautey, évoquait le «retrait apparent» de l'épisode colonial dans «la conscience nationale française». Cet éloignement ouvrait une période nouvelle :

  • «qu'il soit néo ou anti, a ou post-colonial, l'historien de chez nous, aujourd'hui, n'a plus à expier ou ) s'auto-défendre, à accuser ou à s'excuser. Notre passé colonial s'est suffisamment éloigné de nous pour que nous établissions avec lui un rapport débarrassé du complexe d'arrogance ou du réflexe de culpabilité».

Or, quinze ans plus tard, Olivier Dard et Daniel Lefeuvre sont bien obligés de constater que : «loin d'être devenu un objet froid de la recherche historique, le passé colonial nourrit une véritable "guerre des mémoires", selon l'expression de Benjamin Stora».

Une légende noire

Plusieurs historiens, français, belges, canadiens, hollandais, italiens, espagnols, portugais, allemands affrontent le retour en force de cette « guerre des mémoires » qui n'est pas seulement franco-française. Daniel Lefeuvre examine les envahissants jalons de cette actualité « coloniale » récurrente :

  • journée aux Harkis, mémoire du 17 octobre 1961, loi de 1999 qualifiant de «guerre d'Algérie» ce qui n'étaient que des «événements», articles et pétition sur la torture pendant la guerre d'Algérie, souvenirs de l'officier Aussaresses, loi Taubira de 2001, documentaire L'ennemi intime de Patrick Rotman, polémiques sur le "voile islamique" à l'école, loi de février 2005 sur le « rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord », embrasement des « banlieues » en 2005, propos de l'ambassadeur français en Algérie qui déplorent les «massacres commis» à Sétif en mai 1945 (que le président algérien Bouteflika appelle un « génocide », film Indigènes de Rachid Bouchareb (2006), etc. ; ainsi que les acteurs qui multiplient déclarations et initiatives autour de ces questions : Jean-Luc Einaudi, Louisette Ighilahriz, les personnalités pétionnaires (Henri Alleg, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, Madeleine Rebérioux), Mouloud Aounit, Olivier Le Cour Grandmaison, Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Gilles Manceron, Alain Gresh ; ou les victimes d'attaques tel l'historien des traites négrières Olivier Pétré-Grenouilleau.

La société française serait, aujourd'hui, une « société post-coloniale » dans laquelle « la gangrène coloniale s'empare des esprits » selon l'appel des Indigènes de la République (19 janvier 2005).

Pour Daniel Lefeuvre, l'injection d'une mémoire coloniale infamante dénaturant un passé colonial complexe, dans des séquences historiques ou dans des situations présentes (discriminations racistes, vote a priori raciste des électeurs de Jean-Marie Le Pen, controverse sur l'islam en France), a construit une véritable « légende noire ». Cette chimère : «tend à substituer une "fracture coloniale" toujours ouverte, à une analyse de la société en termes de classes» selon un processus biaisé de connaissance.

Critiques de la légende noire

Des méthodes de cette histoire-procès, Daniel Lefeuvre propose quatre critiques essentielles :

  • « la première concerne la confusion établie entre discours et pratiques. Il suffit que tel médecin de la colonisation ait rêvé tout haut de l'extermination des Arabes au moment de la conquête de l'Algérie et qu'un officier écrive qu'il n'a fait aucun quartier, tuant hommes, femmes et enfants, écrasant les mères sous les sabots de son cheval, pour qu'Olivier Le Cour Grandmaison en tire les conclusions que l'extermination des Algériens a été voulue et perpétrée par l'armée française », même si de nombreux autres témoignages prouvent le contraire, à commencer par l'œuvre de Charles-André Julien, de Jacques Frémeaux ou d'autres chercheurs scrupuleux.
  • « la deuxième critique porte sur l'anachronisme (...) il s'agit de condamner le passé à partir des critères moraux et judiciaires actuels ou de procéder à une lecture du passé à partir des normes de pensées contemporaines. Ainsi, toujours en prenant pour exemple la conquête de l'Algérie, les crimes des soldats français sont comparés et, de fait, assimilés à ceux perpétrés par les armées nazies en Europe, près d'un siècle plus tard, tandis que la culture de guerre des hommes de la conquête d'Algérie et les conditions concrètes de cette conquête sont ignorées ».
  • « la troisième critique porte sur la généralisation de l'exceptionnel ou du contingent qui deviennent alors des caractéristiques faisant de la colonisation un "système". Ainsi, les quatre "enfumades" avérées lors de la conquête de l'Algérie - C. Coquery-Vidrovitch assure avoir connaissance d'une autre qui se serait produite en Oubangui-Chari en 1931, mais sans autre précision - deviennent sous la plume d'Olivier Le Cour Grandmaison, des "massacres administratifs" réitérés, l'expression permettant à nouveau de faire le lien avec la Shoah pour laquelle elle a été forgée ».
  • « Quatrième critique : l'absence de comparatisme. C'est vrai pour les guerres de conquête qui ne peuvent se penser qu'en référence aux cultures de guerre prégnantes au moment des faits. La conquête de l'Algérie relève, évidemment, bien plus de la culture de guerre qui imprégnait les soldats de la Révolution et de l'Empire, elles-mêmes héritières de celle qui animait les soldats de Louvois dévastant le Palatinat, que de celle des armées nazies ».

La kouba de Nogent-sur-Marne

Daniel Lefeuvre a joué un rôle déterminant dans la reconstruction de la kouba de Nogent-sur-Marne. Cet édifice construit à la fin de la Première Guerre mondiale fut inauguré le 16 juillet 1919. Il était destiné à honorer les soldats coloniaux de l'empire français, morts à l'hôpital du Jardin Colonial de Nogent-sur-Marne.

Endommagée par le temps et non entretenue faute de savoir qui devait financer les travaux, la kouba fut détruite en 1982. Le dossier de la première construction de la kouba fut retrouvé aux archives d'outre-mer, à Aix-en-Provence et une initiative entreprise visant à la reconstruire. Les efforts de Daniel Lefeuvre ont permis de mener à terme ce projet et la kouba reconstruite fut inaugurée le 28 avril 2011.

Publications

Ouvrages

  • 1940 au jour le jour, Paris, Albin Michel, 1989 (avec Jacques Marseille).
  • Le Métro de Paris. Histoire d'hier à demain, Rennes, Ouest-France, 1990.
  • D'une crise à l'autre : 1929, 1973, 1993, Paris, La Documentation française, 1994 (avec Michel Margairaz).
  • Chère Algérie. La France et sa colonie, 1930-1962 (1997) ; rééd., Flammarion, 2005. Prix maréchal Louis-Hubert Lyautey (Académie des sciences d'outre-mer) 1997.
  • La Guerre d'Algérie au miroir des décolonisations françaises : mélanges en l'honneur de Charles-Robert Ageron, Paris, Société française d'outre-mer, 2000 (codirection).
  • Lettres d’Algérie. André Segura : la guerre d’un appelé 1958-1959 - Nathalie Jungerman, Daniel Lefeuvre et Jean Segura - Éditions Nicolas Philippe, 2004.
  • Pour en finir avec la repentance coloniale, Paris, Flammarion, 2006 ; Réédition : Champs actuels, 2008.
  • «L'avenir nous appartient !» Une histoire du Front populaire, Paris, Larousse, 2006 (avec Michel Margairaz et Danielle Tartakowsky).
  • Faut-il avoir honte de l'identité nationale ?, Paris, Larousse, 2008. (avec Michel Renard)
  • L'Europe face à son passé colonial, Paris, Riveneuve, 2009 (codirection avec Olivier Dard), .
  • L'Histoire nationale en débat. Regards croisés sur la France et le Québec, Paris, Riveneuve, 2010 (codirection avec Éric Bédard et Serge Cantin).
  • Démontage d'Empires, Paris, Riveneuve 2013 (direction).

Articles

Autres articles

Distinctions

  • L'ouvrage Chère Algérie a été récompensé, en 1997, par le Prix Maréchal Lyautey, décerné par l'Académie des sciences d'outre-mer et par le Prix d'histoire consulaire, décerné par l'Association des anciens présidents des Chambres de commerce et d'industrie et des Chambres régionales de commerce et d'industrie.

Bibliographie

Voir aussi

Articles relatifs à Daniel Lefeuvre

Vidéos

  • «Daniel Lefeuvre, pour en finir avec la repentance coloniale.», F.O.G. : vidéo.
  • «Mortalité des soldats coloniaux : la vérité (Jack Lang vs Daniel Lefeuvre)» : vidéo
  • «Daniel Lefeuvre : colonisation en Algérie et maladies» : vidéo.
  • «En finir avec la repentance coloniale Française (Daniel Lefeuvre)» : vidéo.
  • «Conférence de Daniel Lefeuvre juin 2012 Sur le peuplement européen en Algérie Française» : vidéo.
  • «Hommage à Daniel Lefeuvre (1951-2013), historien de l'Algérie coloniale (20 octobre 2014)» : vidéo.

Articles connexes

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