Claude-Emmanuel Lhuillier
Quick Facts
Biography
Claude-Emmanuel Luillier, dit Chapelle, né en 1626 dans le faubourg parisien de La Chapelle-Saint-Denis, et mort en 1686, est un homme de lettres français resté dans l'histoire littéraire pour avoir été l'ami intime de trois auteurs majeurs du siècle : Cyrano de Bergerac, D'Assoucy et Molière, et pour avoir écrit, avec François Le Coigneux de Bachaumont, un Voyage en prose et en vers qui a été le modèle de maints autres récits de même forme.
Il a également été l'ami et le confident de Racine, Boileau, Bernier et La Fontaine, qui appréciaient « la délicatesse et la légèreté de son esprit ainsi que l'enjouement de son caractère. »
Biographie
Famille et milieu
Il était le fils adultérin de François Luillier (15??-1652), trésorier de France à Paris, puis maître des comptes et conseiller au Parlement de Metz, et de Marie Chanut (1595?-1652), sœur du diplomate Pierre Chanut, qui vivait séparée de son mari Hector Musnier (15??-1648), receveur général des finances en la généralité d'Auvergne.
On ignore les dates de sa naissance et de son baptême. L'un de ses premiers éditeurs lui donne soixante ans au moment de sa mort, en 1686, ce qui le ferait naître en 1626. Le lieu de cette naissance est en revanche bien établi, puisque c'est de lui qu'il tient son surnom de Chapelle. Son père possédait en effet une maison dans le village de La Chapelle entre Paris et Saint-Denis, rattaché à la capitale en 1860. Il y hébergea notamment son ami le philosophe Pierre Gassendi, lors de son premier séjour parisien, en 1624.
Le prénom de l'enfant, Claude-Emmanuel, avait été celui de son oncle, frère cadet de son père, mort à l'âge de vingt-deux ans dans des conditions dramatiques au printemps 1627; un fait qui pourrait suggérer que Chapelle est né après cette date plutôt que l'année précédente.
On ignore où et par qui il fut élevé. Rien n'interdit de penser que ce fut par sa mère, qui demeura à Paris jusqu'à sa mort en janvier 1652.
Le 4 janvier 1642, il est légitimé par lettres royales. Les termes de cet acte méritent d'être cités, au moins pour partie:
Six mois après l'avoir fait légitimer, Luillier fait don à son fils de 4100 livres de rente viagère.
Le «gay trio»
Dès avant ce temps, Chapelle a fait la rencontre de Savinien Cyrano de Bergerac et, par lui, de Charles Coypeau d'Assoucy, ses aînés de sept et vingt-et-un ans, avec lesquels il formera pendant quelques années ce que la cyraniste Madeleine Alcover a nommé «un gay trio». C'est du moins ce qui se déduit du témoignage de D'Assoucy:
S'adressant à son ancien ami dans un autre texte, D'Assoucy évoque «les premiers poils qui, ombrageant votre menton, causèrent un si notable divorce entre vous et le sieur C[yrano] B[ergerac], qui dès vos plus tendres années prit le soin de votre éducation…». Dans la seconde édition du même texte, il l'interpelle encore: «Est-ce ainsi que vous traitez vos amis, vous qui, du temps que vous recherchâtes ma connaissance, n'étiez encore qu'un écolier…»
Études et condisciples
Où Chapelle a-t-il fait «l'étude des choses vertueuses» dont il est question dans les lettres de légitimation? Quel collège a-t-il fréquenté? Une lettre de son père datée de mai 1646 suggère qu'à cette date «l'institution» du jeune homme, âgé d'une vingtaine d'années, n'était pas encore achevée.
Dans sa Vie de M. de Molière, parue en 1705, Jean-Léonor Le Gallois, sieur de Grimarest accorde une grande place à Chapelle, qu'il n'avait sans doute pas connu personnellement, mais dont son principal informateur, le comédien Michel Baron, lui avait tracé le portrait et conté les aventures. Après avoir indiqué que le père de Molière s'était résolu à envoyer son fils au collège des Jésuites, il écrit :
Ce récit, qui développe quelques lignes de la préface de La Grange aux Œuvres de Monsieur de Molière (1682), n'est confirmé par aucun document d'archives. Avant le début des années 1660, le nom de Molière (ou de Pocquelin) n'apparaît nulle part accolé à ceux de Gassendi, Cyrano, Chapelle ou Bernier.
Le séjour à Saint-Lazare
Au cours de l'année 1646, s’il faut en croire l'un de ses premiers éditeurs, repris par la plupart des historiens, les tantes paternelles de Chapelle l'auraient fait enfermer à la Mission de Saint-Lazare. Une lettre de François Luillier datée de mars 1647 et témoignant du «déplaisir» qu'il a conçu «de ce que l'on [lui] a mandé de la débauche et du libertinage de Chapelle», semble confirmer cette datation, laquelle n'en reste pas moins sujette à caution.
Premières publications
Le nom de Chapelle apparaît imprimé pour la première fois en mars 1646, quand il signe «De La Chappelle» un sonnet liminaire pour La Science des Sages de François du Soucy de Gerzan. Son nom côtoie alors celui du jeune François de la Mothe Le Vayer, fils du philosophe. Ce sera le cas également au mois d'octobre suivant, quand tous deux signeront des pièces liminaires pour Le Triomphe des dames du même auteur. Deux ans plus tard, en juillet 1648, il en donne deux autres pour Le Jugement de Pâris en vers burlesques, de D'Assoucy, lequel s'ouvre sur un avis «Au lecteur et non au sage» signé «Hercule de Bergerac». La signature du jeune Luillier, «C.E. de La Chappelle (sic)», côtoie alors celles de Paul Scarron, Tristan L'Hermite, La Mothe le Vayer le fils, Henry Le Bret et d'autres. Il donnera encore de semblables pièces à D'Assoucy en avril 1653 pour son Ravissement de Proserpine, et en juillet de la même année, pour les Poésies et lettres de M. D'Assoucy contenant diverses pièces héroïques, satiriques et burlesques.
Les études de médecine
Dans l'historiette qu'il consacre à François Luillier, Tallemant des Réaux, qui était son locataire et le connaissait donc bien, écrit: «Il fit son bâtard médecin, parce, disait-il, qu'en cette vacation-là on peut gagner sa vie partout.» La notice de Donneau de Visé reproduite ci-dessous en apporte confirmation. Une lettre latine que Chapelle adresse de Montpellier, le , à son maître Gassendi, «prince des philosophes de ce siècle», qui se trouve alors à Digne, donne à penser que c'est au cours de cette année que le jeune homme recevra son bonnet de docteur, à la même faculté de médecine où, le 26 août 1652, son ami François Bernier obtiendra le sien.
Il est toujours dans le midi au début de l'année suivante. Le 13 janvier 1650, en effet, il débarque à Toulon en provenance de Port-de-Bouc. Pendant plusieurs mois il est hébergé par Gassendi, qui, le 25 mars, demande à François Luillier 800 livres pour subvenir aux dépenses du jeune homme. Le 5 février, en compagnie de Bernier, qui revient d'un long voyage en Pologne, il assiste leur maître, monté sur le Mont Caume pour y renouveler l’expérience de Pascal sur la pression atmosphérique.
Au début de l'été 1650, il part pour un voyage qui le conduit à Rome et dont il ne reviendra qu'en 1652.
Le voyage à Encausse
Au plus chaud de l'été 1656, il part avec François Le Coigneux de Bachaumont prendre les eaux à Encausse. Les étapes de leur périple — amicales, gastronomiques, œnologiques et plus rarement «touristiques» —sont les suivantes: Bourg-la-Reine, Antony, Longjumeau; l'abbaye de Saint-Euverte d'Orléans, dont Bachaumont est bénéficiaire; Blois, Amboise; le château de Fontaulade à Chadenac, propriété du comte de Lussan; le château de Jonzac; Courpignac, Blaye; le palais de l'intendant Gédéon II Tallemant des Réaux, rue du Chapeau-Rouge à Bordeaux; la demeure du comte d'Orty à Agen, Encausse; le château de Castillon-Savès, propriété du marquis de Fontrailles, Toulouse; le château du comte d'Aubijoux à Graulhet, Castres; le château de Pennautier, propriété de Pierre Louis Reich de Pennautier, trésorier des États du Languedoc, Narbonne, Béziers, Saint-Thibéry, Loupian, Montpellier; le château de Marsillargues, propriété de Jean-Louis de Louet de Nogaret, marquis de Calvisson, Pont du Gard, Nîmes, Beaucaire, Arles, Salon, Marseille, Cassis, La Ciotat; la «Cassine» du Chevalier Paul au Pont du Las près de Toulon, Hyères, la Sainte-Baume, Saint-Maximin, Négreaux (propriété de la famille Riqueti à Mirabeau), Aix, Orgon, Avignon, où ils arrivent le 2 novembre, Pont-Saint-Esprit, et de là par le coche d'eau jusqu'à Lyon, où ils composent la relation de leur voyage en prose mêlée de vers, qu'ils adressent à leurs amis les frères Du Broussin.
La relation de ce voyage circule en manuscrit jusqu'à ce qu'en 1661 le libraire Estienne Loyson la publie, sous le titre «Voyage de Messieurs de la Chapelle & Balchaumont (sic)», en tête d'un recueil de Nouvelles poésies et prose (sic) galantes, contenant plusieurs élégies, stances, sonnets, rondeaux, épigrammes, bouts-rimez et madrigaux.
Elle sera rééditée de très nombreuses fois au cours des années et des siècles suivants.
Chapelle et Molière, une longue amitié
Que permettent d'affirmer les documents, au-delà du récit tardif de Grimarest ? Qu'entre 1659 (peu après le retour de Molière à Paris) et février 1673 (date de sa mort), Chapelle et Molière entretinrent une étroite amitié, qui permit plus tard à leur ami commun François Bernier d'écrire que «L'illustre Molière ne pouvait vivre sans son Chapelle.» Selon le récit qu'en a fait Baron à Grimarest, Molière aurait participé avec lui et quelques autres à une soirée de débauche restée célèbre, le banquet d'Auteuil.
Retour à l'étude ?
Au printemps 1668, François Bernier, qui depuis une quinzaine d'années vit loin de France, lui adresse une longue lettre «Sur le dessein qu'il [Chapelle] a de se remettre à l'estude, sur quelques points qui concernent la doctrine des Atômes, & sur la nature de l'entendement humain», lettre qui sera publiée trois ans plus tard dans la Suite des mémoires du sieur Bernier, sur l'Empire du Grand Mogol :
Dernières années
En 1669, Jean Donneau de Visé dédie à Chapelle L'Amour échapé ou les diverses manières d'aymer, et dans lequel il brosse son portrait sous le nom de Craton (tome III, p. 16-17):
Outre les auteurs déjà nommés, Chapelle fut l'ami de Charles Beys, de La Fontaine, de Racine, de Furetière, de Nicolas Boileau et de l'abbé de Chaulieu. Il fréquenta le salon de Marguerite de la Sablière, rue Neuve-des-Petits-Champs et le château d'Anet, propriété des Vendôme, et il est apprécié par de grands seigneurs tels que le Grand Condé, le duc de Saint-Aignan, Louis-Joseph et Philippe de Vendôme, Philippe Mancini, duc de Nevers, et sa sœur Marie Anne, duchesse de Bouillon.
Il meurt en septembre 1686 dans des conditions dont on ignore tout.
Hommages posthumes
Dans sa livraison du mois d'octobre suivant, le Mercure galant lui consacre un article très élogieux dû probablement à la plume de Fontenelle:
Quelque temps plus tard, son ami François Bernier rédige son épitaphe, qu'il envoie pour étrennes à Madame de la Sablière:
Vers le même temps, le diplomate François de Callières écrit à propos de ce décès quelques lignes qu'il publiera plus tard dans son recueil Des bons mots et des bons contes:
Dans le tome V d'un Recueil des plus belles pièces des poètes français tant anciens que modernes qu'il publie en 1692, Fontenelle lui consacre une brève notice:
Balthazar de Bonnecorse ayant publié, en 1686, un pamphlet en vers intitulé Lutrigot, poème héroï-comique, dans lequel Nicolas Boileau (le héros éponyme) est présenté (p. 14) dans un cabaret, entouré des «fidèles compagnons de [ses] plus chers plaisirs»: Garrine (Racine) et Rigelle (Chapelle), le satiriste en écrira quinze ans plus tard à Claude Brossette:
Œuvre
Chapelle est l'auteur de courts poèmes (épigrammes, sonnets, odes, madrigaux, stances) dans le style satirique ou libertin.
Les œuvres de Chapelle ont été publiées en 1755, en 1854, et rééditées en 1977.
Son épitaphe
Éditions
- «Voyage de Messieurs de la Chapelle (sic) & Balchaumont (sic)», dans Nouvelles poésies et prose (sic) galantes. Contenant plusieurs élégies, sonnets, épigrammes, stances, rondeaux, bouts-rimez et madrigaux. Sur divers sujets les plus enjoüez de ce temps. Paris, Estienne Loyson, 1661.
- Voyage de Messieurs de Bachaumont et de La Chapelle. Avec un mélange de Piéces fugitives tirées du Cabinet de Monsieur de Saint Evremont. Utrecht, Chez François Galma, 1697.
- Voyage de Messieurs Bachaumont et La Chapelle. Auquel on a joint les Poésies du Chevalier de Cailly, etc. Toutes pièces excellentes qui étoient devenuës fort rares. Amsterdam, Chez Pierre De Coup, 1708.
- Œuvres de Chapelle et de Bachaumont, précédées de «Mémoires sur la vie de Chapelle» par Charles-Hugues Le Febvre de Saint-Marc, La Haye-Paris, 1755.
- Voyage de Chapelle et de Bachaumont. Suivi de leurs poésies diverses, du voyage de Languedoc en Provence par Lefranc de Pompignan, de celui d'Eponne par Desmahis et de celui du chevalier de Parny, précédé de mémoires pour la vie de Chapelle, d'un éloge de Bachaumont, et d'une préface par de Saint Marc., éd. chez Constant Letellier, fils, libraire, 1826.
- Œuvres de Chapelle et de Bachaumont, nouvelle édition, précédée d'une notice par M. Tenant de Latour, Paris, 1854.
- Voyage de Chapelle et de Bachaumont, Éd. Henriette Bellair, Paris, PUF, 1927.
- Chapelle et Bachaumont, Voyage d'Encausse, établissement du texte, introduction et notes par Yves Giraud, Paris, Honoré Champion, 2007.
- Chapelle et Bachaumont, Voyage à Encausse, éd. critique établie par Laurence Rauline et Bruno Roche, Saint-Étienne, Institut Claude Longeon, 2008 (ISBN 2-86724-042-5).
Bibliographie
- Tallemant des Réaux, Historiettes, Paris 1834-1835, tome III, p. 219 et suivantes. Édition d'Antoine Adam, Paris, NRF, Bibliothèque de la Pléiade, 1961, tome II, p. 87-90.
- Jean-Léonor Le Gallois de Grimarest, La Vie de M. de Molière, Paris, Jacques Le Febvre, 1705.
- Charles-Hugues Le Febvre de Saint-Marc, «Mémoires sur la vie de Chapelle», en tête des Œuvres de Chapelle et de Bachaumont, La Haye-Paris, 1755.
- Hippolyte Rigault, Œuvres complètes de H. Rigault, tome III (Études littéraires), Paris, Hachette, 1859, p. 1-15.
- François-Tommy Perrens, Les Libertins en France au XVIIe siècle, Paris, Léon Chailley, 1896 ; réimpression, New York, Burt Fraklin, 1973.
- Jean Demeure, «L'introuvable société des "quatre amis"», Revue d'histoire littéraire de la France, XXXVI, 1929, p. 161-180 & 321-336.
- René Pintard, Le Libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, Boivin & Cie, 1943. Le même, «Nouvelle édition augmentée d'un avant-propos et de notes et réflexions sur les problèmes de l'histoire du libertinage», Genève-Paris, Slatkine, 1983.
- Georges Mongrédien, «Le meilleur ami de Molière: Chapelle», Mercure de France, janvier 1957, p. 86-109, et février 1957, p. 242-259.
- Silvio F. Baridon, Un libertino erudito del seicento, François Luillier, Istituto Editoriale Cisalpino, Milano-Varese, 1960.
- Madeleine Alcover, «Un gay trio: Chapelle, Cyrano, Dassoucy», dans L'Autre au XVIIe siècle, actes du 4e colloque du Centre international de rencontres sur le XVIIe siècle, University of Miami, 23 au 25 avril 1998, édités par Ralph Heyndels et Barbara Woshinsky, Biblio 17, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 1999, p. 265-275.
- Jean-Luc Hennig, Dassoucy & les garçons, Paris, Fayard, 2011.
- Jean-Marie Besset, Le Banquet d'Auteuil, H&O, 2015.
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